Cette page Web archivée demeure en ligne à des fins de consultation, de recherche ou de tenue de documents. Elle ne sera pas modifiée ni mise à jour. Les pages Web qui sont archivées sur Internet ne sont pas assujetties aux normes applicables au Web du gouvernement du Canada. Conformément à la Politique de communication du gouvernement du Canada, vous pouvez demander de recevoir cette page sous d'autres formats à la page Contactez-nous.
L'ARCHITECTURE ET L'URBANISME*[252]1. L'architecture et l'urbanisme ont des rapports étroits avec presque tous les arts et avec plusieurs sciences. Ils touchent, pour ainsi dire, à chaque aspect de la vie de la collectivité. Cependant, il arrive qu'on soit, à leur sujet, dans une ignorance qui va jusqu'à la méconnaissance de leur existence même. Nous avons donc été fort heureux de bénéficier de témoignages autorisés que nous avons reçus d'architectes exprimant leur avis personnel, ou de groupements professionnels : la Royal Architecture Institute of Canada, la Société centrale d'hypothèque et de logement, l'Institute of Professional Town Planners, l'Association canadienne d'urbanisme et un groupe privé de jeunes architectes. Nous avons en outre fait préparer deux études spéciales, l'une par un éminent historien de l'art au Canada de langue française, l'autre par un membre de la faculté de l'une des principales écoles d'architecture du Canada. L'impression la plus frappante que nous ayons tirée de ces témoignages et études, c'est que les groupements et les personnes qui nous renseignaient, en dépit de la diversité de leurs intérêts non moins que de leur formation, et bien qu'ils aient des idées nettement opposées sur des questions de détail, ont manifesté une étonnante similarité de vues quant à l'état général de l'architecture et de l'urbanisme au Canada et quant aux mesures qui s'imposent dans ces deux domaines. 2. De toutes les observations qui nous ont été présentées, il ressort que l'architecture, de nos jours, ne saurait être dissociée de l'urbanisme. À l'heure actuelle, nous a-t-on appris, la population du Canada est urbaine dans une proportion de 54 p. 100, et cette proportion s'accroît rapidement. Il devient donc d'une urgence de plus en plus grande que quiconque construit un bâtiment dans une agglomération se préoccupe de l'accord du nouvel édifice, aussi bien avec l'emplacement qu'avec les bâtiments voisins, existants ou prévisibles. C'est ce que nous a exposé avec clarté un architecte professionnel qui considérait cette responsabilité sous l'angle d'un devoir public et sous celui des bonnes manières architecturales. 3. Nous avons recueilli des témoignages assez troublants sur l'état général de l'architecture et de l'urbanisme. Bien qu'elle soit de tous les arts celui qui exerce la plus grande influence sur le mode de vie, l'architecture, nous a dit un groupe de jeunes architectes, reste en général ignorée du public dont le goût s'est affadi. « Les constructeurs édifient, d'un bout à l'autre du Canada, rangée après rangée, de véritables monstruosités architecturales dans des agglomérations dont le sort, pour ainsi dire immédiat, ne saurait être que le déclin et la flétrissure »(1). Les particuliers ou groupes plus âgés, professionnels ou amateurs, qui nous ont présenté leur point de vue, ne nient aucunement le bien-fondé de cette affirmation catégorique d'un groupe de jeunes architectes professionnels, même s'ils ne l'acceptent pas d'emblée. On nous a déclaré que, du point de vue architectural, le public en général a peu de respect pour le passé, ne se préoccupe pas de l'avenir, reste apathique ou sans idée arrêtée quant au présent. Pour la plupart, les Canadiens n'ont pas encore saisi l'importance de l'art plus nouveau de l'urbanisme. 4. La production mécanique en série a nui à l'architecture partout, mais nulle part autant qu'au Canada, nous a-t-on affirmé. L'emploi de matériaux et de plans uniformes a eu pour effet d'empêcher la manifestation des particularismes régionaux qui, autrement, auraient eu la possibilité de s'affirmer. Les villes industrielles de Grande-Bretagne n'ont pas répudié les gloires architecturales ni les belles traditions de tout un millénaire; même aux États-Unis, les agglomérations les plus anciennes ont conservé de beaux vieux bâtiments du passé. Au Canada, les exemples de conservation sont plus rares, et la tradition, bien plus faible. Dans Québec, l'Ontario et les provinces Maritimes, nous a-t-on rappelé, il existe des indices « d'urbanité et de charme, ombres pâlies des villes européennes et anglaises du l8e siècle ». Constituant notre « style indigène », ils n'ont pas été sans exercer leur influence sur l'architecture subséquente. Dans l'ensemble, toutefois, nous avons succombé, plus que la plupart des autres pays, aux assauts de notre « époque de confusion architecturale » (2). 5. Il en est résulté, nous a-t-on maintes fois affirmé, que les Canadiens ne connaissent pas assez la faculté que possède l'architecture d'animer et d'enrichir leur vie; ils n'ont pas assez conscience de la laideur des maisons de série et des édifices publics sans caractère. Nous avons entendu avec intérêt le témoignage d'un architecte rentrant d'Europe, qui avait remarqué que les écoles du continent européen, parfois inférieures aux nôtres du double point de vue de l'éclairage et de la ventilation, comportaient souvent des agréments que nous paraissons incapables de nous permettre, tels que des groupes de sculpture ornementale établis pour le plaisir des enfants, qui, pense-t-on en Suède et d'autres pays, ont autant besoin d'un milieu inspirant que d'air et de lumière. Nous ne paraissons pas ressentir un tel besoin, si l'on en juge par nos écoles, nos hôpitaux, nos hôtels de ville, nos bâtiments publics de moindre (ou de plus grande) importance. « Nos mairies, déclarait un architecte d'un certain âge, sont pour la plupart de mornes monuments où les gens ne songent à pénétrer que pour acquitter un impôt ou une amende; de nos vieux bureaux de poste, le moins qu'on puisse dire, c'est qu'ils sont sordides; nos bibliothèques d'avant-guerre apparaissent comme de sombres forteresses construites pour assurer la préservation de précieux incunables; nos petites gares, en bois verni et embouveté, n'ont pas changé de style depuis que la voie s'est percé un chemin dans la prairie ou la forêt vierge » (3). 6. Un autre problème, relatif à l'architecture canadienne, naît du goût pour les styles d'imitation ou de dérivation. Les auteurs de nos deux études spéciales ont traité en termes sévères de la coutume, ancienne et généralisée, d'imiter sans discernement les styles de générations passées ou d'autres pays qui sans doute ont résolu leurs propres problèmes architecturaux, mais non pas forcément d'une manière acceptable à notre époque et en notre pays. L'imitation ne se borne pas à la décoration des édifices; elle s'étend aux plans mêmes, ainsi que l'illustre cette gare imposante et bien connue qu'on a bâtie sur le modèle de célèbres bains romains. Ces imitations, nous a rappelé un informateur du Canada de langue française, deviennent encore plus inadmissibles par suite de l'emploi de matériaux inférieurs. D'un autre côté, on prétend que ce « culte de l'ancien » représente la recherche inévitable d'une forme de construction dans un pays sans tradition architecturale. Les institutions financières, par exemple, ont vu dans la Rome impériale une architecture qui symbolisait la puissance, la richesse et la sécurité qu'évoqueraient aux yeux du client les murs de maçonnerie et le portique dorique. Cette conception littéraire de l'architecture est loin d'être chose du passé. 7. Néanmoins, on nous a signalé maints indices, prometteurs, de la croissance d'un sens architectural au Canada. Il y a, par exemple, les possibilités de la nouvelle « architecture inspirée du génie civil », symbolisée au Canada surtout par les élévateurs à céréales, qu'ils soient en bois comme dans les Prairies ou en béton comme sur les rives des Grands lacs. Les avis sont partagés au sujet de la valeur architecturale de ces structures; un de nos témoins y voit tout au plus une réalisation honnête; un autre voit de la beauté dans « la simplicité des formes, les masses pleines des surfaces et le jeu des ombres » (4). On nous a rappelé toutefois, que, au Canada de langue française comme ailleurs, il se produit d'importantes expériences d'architecture publique et domestique. Les architectes, nous a-t-on dit, s'efforcent à la fois de maîtriser la nouvelle technologie et de secouer l'obsession du passé. Ils exigent le droit d'affronter le problème dans sa réalité: « les conditions imposées par le terrain, les besoins spirituels et matériels des clients, les frais, et rien d'autre ». On nous a signalé que se manifeste au Canada l'espoir et le besoin de créer une architecture régionale adaptée au paysage et au climat, ainsi qu'aux matériaux caractéristiques de chaque région. Si nous ne nous abusons, on remarque en Colombie-Britannique des tendances régionalistes qui tirent parti des vastes horizons et du bon marché relatif du bois. On ne relève encore aucun indice de ce genre, ailleurs. On nous a déclaré que c'est de cette façon que s'établira une véritable architecture canadienne. 8. Un des indices rassurant pour l'avenir, c'est la tendance de plus en plus marquée à revenir à ces quelques saines traditions qui ont survécu à notre rapide expansion industrielle. Nous avons déjà signalé que les sociétés historiques insistent sur l'importance qu'il y a de conserver les vestiges de notre histoire architecturale qui, sous la forme de plusieurs anciennes et belles maisons de l'Est, nous démontrent que nos ancêtres avaient le sens de la forme ainsi que de la dignité de la vie. 9. Ce respect de la tradition, allié à la détermination d'affronter les problèmes du temps présent afin de les résoudre par des moyens actuels, constitue un état d'esprit nouveau qui se manifeste avec une force particulière dans les écoles canadiennes d'architecture, où le nombre des élèves et l'enthousiasme sont à la hausse. Depuis une vingtaine d'années que les provinces ont adopté une législation relative à l'enregistrement, les écoles d'architecture constituent le principal moyen de formation à la profession d'architecte. (Mais il n'existe, nous dit-on, ni écoles ni cours satisfaisants en matière d'urbanisme, et l'on estime que cette carence est fort grave, vu l'importance grandissante de cette profession). On compte maintenant au Canada cinq écoles d'architecture, qui offrent un cours de 5 ans et comptent un effectif total de 172 élèves de dernière année (1950). La tendance se manifeste à associer de plus en plus étroitement cette formation professionnelle aux humanités et aux sciences sociales parce qu'on tient pour acquis que l'homme de profession libérale, et l'architecte non moins que les autres, doit posséder une culture libérale; en outre, à cause de l'aspect social de l'architecture, il est bon que l'architecte ait des notions de sociologie. 10. Nous ne nous risquerons pas à examiner ici la question délicate des rapports professionnels de l'architecte et du client; l'architecture résulte, dans une large mesure, de l'habileté de l'un et du désir de l'autre. Cependant, il existe un client si puissant qu'il constitue une influence décisive sur l'avenir de l'architecture et de l'urbanisme canadiens et c'est le gouvernement fédéral qui, au cours des quatre années antérieures à 1949, a pris l'initiative du quart de la construction canadienne. « Les vieilles sociétés n'ont jamais connu de si grand patron de l'architecture ni de client si puissant » (5). 11. Depuis 1935, outre les édifices administratifs, les bureaux de poste ou de douane, les entrepôts militaires et d'autres bâtiments qu'il faisait construire dans toutes les parties du pays, le gouvernement a assumé des responsabilités de plus en plus vastes dans le domaine de la construction d'habitations. L'organisme de construction le plus récent et le plus actif du gouvernement fédéral est la Société centrale d'hypothèque et de logement qui, en 1948, a fait construire le quart de toutes les maisons canadiennes bâties cette année-là. Cet organisme s'efforce d'améliorer la construction en fixant certaines normes pour toutes les maisons élevées grâce à son aide. Il offre des plans de maisons approuvés, à un prix nominal, et il commande à des architectes des plans pour ses propres maisons. En outre, il a versé des subventions aux universités en vue de recherches sur l'urbanisme. Divers témoins ont souligné le grave devoir qui incombe au gouvernement à l'égard du tracé ordonné, agréable et systématique des centres d'habitation au Canada. 12. Les architectes de métier, avons-nous constaté, ne sont aucunement satisfaits des réalisations du gouvernement fédéral à son titre de patron. On prétend que, trop souvent, des gens, pour habiles administrateurs qu'ils soient, se voient confier des fonctions que seuls des architectes peuvent remplir; en outre, on ne fait pas appel autant qu'on le pourrait aux services des architectes se livrant à la pratique privée de leur art, par comparaison avec les services de ceux qui sont à l'emploi de l'État. 13. L'Institute of Professional Town Planners a exprimé le regret que la Société centrale d'hypothèque et de logement n'ait accordé aucune attention à l'expérience acquise dans les « Greenbelt Towns » des États-Unis et les « New Towns » d'Angleterre. D'aucuns demandaient que les divers organismes fédéraux collaborent entre eux, ainsi qu'avec les autorités provinciales et municipales, en vue de la réalisation de tous leurs projets de construction. On nous a signalé, par exemple, le cas d'une agglomération de maisons destinées aux anciens combattants, et qu'un organisme fédéral situait nettement sur un emplacement que doit traverser la Route transcanadienne, qui relève directement du gouvernement fédéral. Ce n'est pas là un exemple isolé; on nous en a cité d'autres en cinq villes canadiennes. En outre, avons-nous appris, l'État ne se préoccupe pas assez de l'effet d'un édifice public fédéral ou d'un ensemble d'habitations sur l'agglomération où on le situe. Un des mémoires renfermait des observations assez dures à l'endroit des édifices publics eux-mêmes; par exemple, un groupe de jeunes architectes nous a déclaré que nos édifices publics révèlent « la faiblesse ... l'esprit de frustration . . . et une indécision stagnante » (6). 14. Le style dominant des édifices du gouvernement fédéral, à Ottawa, a fait l'objet d'observations sévères. Bien que, en théorie, il ne doive pas y avoir uniformité de style pour les bâtiments prévus par le nouveau plan de la capitale, il y a lieu de craindre, nous dit-on, que le romantisme du Château Laurier ne soit remplacé par le romantisme d'inspiration grecque et romaine. On a également critiqué le plan de la capitale parce qu'il se fonde apparemment sur l'hypothèse que tous les édifices publics doivent être de caractère monumental. De nos jours, nous a-t-on dit, les édifices de l'État doivent avoir ou non ce caractère, selon la fin à laquelle ils sont destinés, et la rigidité en ces matières ne tient pas compte des réalités. 15. On nous a exposé deux propositions importantes. La première, c'est que les plans de tous les grands édifices de État devraient faire l'objet de concours libres. Une telle méthode contribuerait à éviter la médiocrité où tombe aisément l'architecture gouvernementale ; d'autre part, elle constituerait déjà un exemple pour l'entreprise particulière, et elle éveillerait le public à la conscience de l'architecture. Elle aurait cet autre avantage d'aider le jeune architecte habile qui, trop souvent, passe ses premières années de pratique à exécuter les plans des autres. On nous a rappelé que, dans un certain nombre de pays européens, tous les édifices publics sont bâtis par des architectes choisis au concours. C'est en réalité une très vieille tradition. Saint-Pierre de Rome, le Parlement de Londres, maints bâtiments célèbres de France, de Belgique et des pays scandinaves ont été construits sous la surveillance d'architectes choisis au concours. Une mesure de ce genre, appliquée au Canada, nous a-t-on dit, contribuerait à relever les normes de notre architecture et, en même temps, à encourager une saine rivalité au sein de la profession. 16. En second lieu, on a demandé avec instance que le gouvernement fédéral reconnaisse l'importance de l'urbanisme et favorise cet art, dans la mesure où il le peut. Les directeurs régionaux, qu'emploie maintenant la Société centrale d'hypothèque et de logement, devraient s'occuper de tous les projets fédéraux et travailler en étroite collaboration avec les autorités provinciales et municipales. D'autre part, le gouvernement fédéral ne devrait consentir de prêt ou de subvention que si la construction doit se faire d'après un plan approprié et cohérent. 17. Parmi les autres mesures dont on nous a exposé l'utilité, signalons la création de bourses de voyage pour les architectes, l'emploi plus fréquent d'architectes par les organismes de construction de l'État, l'énoncé bien net d'une ligne de conduite qui permettrait aux architectes de collaborer plus efficacement à la réalisation des projets de l'État. 18. De plus l'accord semblait assez généralisé parmi les groupes non professionnels, les architectes professionnels et les organismes de l'État, sur la nécessité impérieuse, et que nous avons déjà notée, de stimuler l'intérêt public, d'inculquer à toute la population la compréhension d'un sujet d'une importance si universelle. À une époque d'urbanisation croissante, il importe, plus que jamais, que les Canadiens prennent conscience de l'influence qu'exerce l'architecture sur la vie de tous les citoyens, influence d'autant plus profonde qu'elle s'exerce plus insensiblement. *Extrait de : Canada. Commission royale d'enquête sur l'avancement des arts, lettres et sciences au Canada. Rapport. Ottawa : Imprimeur du roi, 1951. Reproduit avec la permission du Bureau du Conseil privé. |