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TÉLÉVISION*[350]1. On nous a confié la grave responsabilité de présenter des recommandations sur les principes dont devrait s'inspirer la politique suivie par le Canada en matière de télévision, cette force nouvelle qui est en voie de s'imposer dans notre société sans qu'il soit possible d'en prévoir toutes les conséquences. Nos recommandations, toutefois, de même que la preuve sur laquelle nous les fondons, peuvent s'exprimer brièvement et simplement. Elles découlent de ce fait que les considérations qui nous portent à recommander le maintien d'un régime national de radiodiffusion nous semblent militer avec encore plus de vigueur et d'urgence en faveur d'un régime analogue pour la télévision. Comme la radio, la télévision est de la nature d'un monopole, mais un régime de coordination et de réglementation s'impose d'autant plus, dans ce domaine, que les bandes de fréquence sont beaucoup plus restreintes. Comme la radio, elle est un facteur d'unité nationale, une source précieuse d'éducation et d'agrément. Il est encore trop tôt pour déterminer dans quelle mesure l'une est plus importante que l'autre, mais la télévision semble devoir se révéler plus populaire et constituer un moyen de persuasion plus efficace. 2. Il y a lieu d'accorder une attention particulière à la situation des postes privés dans le domaine de la télévision au Canada. Dans celui de la radio, le Canada a réussi à assurer une diffusion aussi complète que possible aux émissions d'ordre national, à un coût relativement minime, en utilisant certaines émissions commerciales et en coordonnant les postes privés dans le cadre du régime national, sous la régie de Radio-Canada. Nous sommes d'avis que les mêmes principes de réglementation nationale devraient s'appliquer à la télévision, sous réserve de certaines précautions particulières. Le problème le plus difficile qui semble devoir se poser à l'endroit de la télévision, au Canada, consistera à atteindre les régions isolées et peu populeuses. La réclame suscitera aussi des difficultés. Même lorsqu'il s'agit de radiodiffusion, une mainmise trop étendue de la part des commanditaires constitue actuellement une menace pour les émissions de tous les postes privés. L'exploitant du poste privé ne peut que dans une certaine mesure déterminer la nature de ses propres émissions. Or dans le domaine de la télévision, où les immobilisations de capitaux et les frais d'exploitation sont plus considérables encore que dans la radiodiffusion, ces tendances déplorables s'accentueront. La pression qu'on exercerait sur les postes de télévision privés, soustraits à la régie d'État, pour les amener à devenir de simples moyens de transmission des émissions commerciales d'origine américaine, serait presque irrésistible. Le Canada a fait l'expérience d'un régime de radiodiffusion purement commercial avant d'adopter un régime nationalisé. La répétition de cette expérience serait dangereuse dans le nouveau domaine, plus coûteux et plus puissant, de la télévision. Une fois la télévision établie dans les bandes de fréquence commerciales nord-sud, il serait presque impossible d'effectuer la transformation coûteuse qui s'imposerait pour doter le pays d'un réseau national en direction est-ouest. Les Canadiens feront bon accueil aux émissions de la télévision américaine comme ils font actuellement bon accueil aux émissions radiodiffusées qui nous viennent des États-Unis, mais, ainsi qu'on nous l'a affirmé, ils n'en veulent pas si elles doivent empêcher l'établissement d'un régime national, à condition bien entendu que Radio-Canada soit en mesure de leur donner des émissions intéressantes dans un avenir assez peu éloigné. Il semble opportun d'utiliser les émissions acceptables de la télévision américaine et de conclure des ententes satisfaisantes avec les postes privés du Canada. Toutefois, ces dispositions ne devraient intervenir qu'à la suite et qu'en fonction de l'organisation, dans le domaine de la télévision, d'un régime national de production et de réglementation. 3. Ainsi que nous l'avons indiqué, à la première partie, bien des Canadiens sont d'avis qu'étant donné le coût élevé de la télévision, et vu qu'elle en est à un stade de rapide transformation du point de vue technique et à un stade d'expérimentation quant à son aspect artistique, le Canada ferait bien, s'il y a vraiment lieu d'agir en ce domaine, de procéder avec lenteur d'ici quelques années. Mais, ainsi qu'il est arrivé si souvent par le passé, nos voisins ont donné le ton. Environ 25,000 Canadiens possèdent actuellement des appareils de télévision, et leur nombre saccroîtra sans doute à un rythme aussi rapide chez nous que ce fut le cas aux États-Unis. Il semble donc nécessaire, dans notre propre intérêt, de doter le plus tôt possible les Canadiens d'un régime national de télévision. LES PRINCIPES DE LA RÉGLEMENTATION4. Aux termes de la politique provisoire arrêtée par le Gouvernement canadien, la télévision relève du Bureau des gouverneurs de Radio-Canada; ce Bureau est autorisé à établir un centre de production à Toronto et un autre à Montréal, à se prononcer quant à la délivrance de permis à un poste privé par ville ou région du Canada et, le plus tôt possible, à assurer l'extension des services de télévision par tous les moyens pratiques. 5. Les principes dont s'inspire cette politique générale ont été intelligemment fixés en regard des besoins et des intérêts du peuple canadien. Nous ne nous proposons pas de présenter des recommandations détaillées quant à la ligne de conduite à adopter pour assurer l'essor de la télévision puisqu'il appartient au Bureau des gouverneurs, qui a les connaissances et l'expérience particulières requises, d'arrêter cette ligne de conduite. Sauf erreur, le Bureau met à exécution les projets exposés dans le programme provisoire qui a été énoncé en mars 1949. Il s'efforcera d'accroître les moyens de diffusion le plus rapidement possible, tant par l'entremise des postes émetteurs de Radio-Canada qu'au moyen d'enregistrements au kinéscope, fournis aux postes privés qui pourront être établis et serviront à la transmission des émissions d'ordre national. Toutefois, trois aspects de la question nous inquiètent particulièrement. Le premier, c'est qu'il ne faudrait pas trop hâter le progrès de la télévision; il y aurait lieu, au contraire, de l'organiser soigneusement, de manière à éviter des expériences coûteuses que notre pays ne peut guère se permettre. Le second se rattache au premier. Dans l'intérêt national, le Bureau des gouverneurs ne devrait pas céder à la pression exercée sur lui pour qu'il se prononce en faveur de la délivrance d'un permis à un poste privé, quel qu'il soit, avant d'avoir organisé des émissions nationales que tous les postes pourront transmettre. Enfin, étant donné que, sur notre continent, l'élément anglophone prédomine, il faudrait, à notre avis, diffuser suffisamment d'émissions en français pour répondre aux besoins et aux intérêts des Canadiens de langue française. En conséquence nous recommandons :
FINANCES 6. Il a été question, à la première partie, des frais de diffusion des émissions de télévision. De même que pour la radio, les frais de diffusion seront extrêmement élevés au Canada, étant données l'étendue de notre pays et sa faible population. Et pour les mêmes raisons, la production des émissions sera aussi fort coûteuse. Comme la radiodiffusion, la télévision doit se faire en deux langues et intéresser divers groupes. 7. Aux États-Unis, les bénéfices de la radio commerciale ont permis de combler les lourdes pertes initiales de la télévision. Mais, ainsi que nous l'avons vu, par ailleurs, la radio nationale au Canada n'accuse pas de bénéfices et fonctionne même à perte. Si l'on prélève une taxe sur les appareils de réception, il sera raisonnable de la fixer à un chiffre plus élevé pour la télévision que pour la radio. Le Bureau des gouverneurs de Radio-Canada propose une taxe de dix dollars par an. Cependant, on ne peut l'exiger tant qu'il n'y aura pas d'émissions au Canada; or, l'organisation d'émissions nécessitera de fortes immobilisations de capitaux pour l'achat de matériel, ainsi que des frais initiaux considérables pour l'élaboration des programmes. En vertu de sa ligne de conduite provisoire, le Gouvernement a consenti, pour la première année, un prêt de 4 millions de dollars. Le Bureau des gouverneurs de Radio-Canada avait demandé 5 millions et demi. Nous estimons qu'il est de la plus haute importance d'assurer le plus tôt possible un service national minimum. On ne devrait pas, à notre avis, compromettre l'existence du régime national en proposant que la télévision vive uniquement de recettes tirées de sources commerciales. Il ne faudrait pas non plus réduire la qualité des émissions radiophoniques au profit de ce nouveau moyen de communication. En conséquence nous recommandons :
ÉMISSIONS 8. Nous ne nous proposons pas de faire de recommandations au sujet des émissions de télévision, si ce n'est d'une façon générale. On a prétendu que la télévision pourrait supplanter tôt ou tard la radio; le cas échéant, la plupart des observations que nous avons formulées, quant aux émissions radiophoniques, s'appliqueraient à la télévision. D'autre part, peut-être la télévision prendra-t-elle de l'ampleur et finira-t-elle par transmettre les spectacles les plus populaires parmi ceux qui lui sont accessibles: music-hall, sports, actualités, laissant les émissions de caractère plus sérieux à la radio et au cinéma. Dans ce genre d'émissions de télévision, il sera essentiel tant de respecter le bon goût que d'assurer un emploi suffisant des artistes canadiens et un usage approprié des ressources du pays. Enfin, comme l'ont fait remarquer plusieurs observateurs sérieux, peut-être verra-t-on surgir de l'ensemble de faiblesses et d'avantages que présente la télévision, et il y a lieu de s'y attendre, un art entièrement nouveau et essentiellement distinct aussi bien de la radio que du cinéma. Nous croyons inutile de nous perdre en conjectures sur ces nombreuses possibilités; mais si un art nouveau doit prendre naissance, il nous semble évident que les réalisateurs d'émissions de télévision devront jouir de la liberté qui leur sera nécessaire pour se livrer à des expériences dans leur sphère d'activité, ainsi que de conditions de travail aussi favorables que possible. 9. À notre avis, cependant, il est essentiel que le Bureau des gouverneurs prenne bien soin de réprimer tout excès de commercialisation et tous les autres abus de quelque genre que ce soit, tant dans ses propres émissions que dans celles des postes privés. La part de réglementation qui s'impose et qu'exercent actuellement les gouvernements et les réalisateurs, dans les domaines de la radio et du cinéma, sera beaucoup plus importante et infiniment plus difficile à achever dans le cas de ce moyen de communication plus persuasif et plus subtil qu'est la télévision. À notre avis, il importe également qu'ici, comme dans le cas de la radio, le Bureau des gouverneurs de Radio-Canada s'efforce d'importer sans retard les meilleures émissions de l'étranger, tout en développant autant que possible le talent des nôtres au moyen d'émissions canadiennes(1). En conséquence nous recommandons :
10. Il est un autre point qu'il importe de souligner, bien que nous n'entendions présenter aucune recommandation à ce sujet. Étant donné que les émissions de télévision sont très coûteuses et que le Canada ne peut s'attendre à posséder un réseau national de télévision d'ici quelque temps, il y a lieu de croire qu'on se servira beaucoup de films pour la télévision. Sauf erreur, aux États-Unis, les films occupent le quart du temps consacré à la télévision, et cette proportion est sans doute destinée à s'accroître. Il paraît évident, pour des raisons d'économie et par suite de la politique suivie au Canada en matière de radiodiffusion et de cinéma, que l'Office national du film et Radio-Canada doivent collaborer étroitement à la production de films et à leur diffusion par télévision. L'Office du film ne saurait produire tous les films, ni même tous les genres de films dont Radio-Canada aura probablement besoin, même s'il était à souhaiter qu'il les produisît; d'ailleurs, il serait déplorable qu'il devint simplement ou principalement un fournisseur de films pour fins de télévision. Mais l'Office du film peut et doit remplir le rôle de principal conseiller de Radio-Canada en matière de films, y compris la production de films par des sociétés privées et l'achat de pellicules à l'étranger; en revanche, Radio-Canada, grâce à l'emploi d'une proportion satisfaisante de films de l'Office, sera sans doute en mesure d'accroître énormément l'efficacité du travail de lO.N.F. et de faire mieux apprécier luvre de celui-ci parmi les Canadiens. Nous sommes portés à croire aussi que la radiodiffusion et la prise de vues, à l'occasion d'événements d'importance nationale dans les domaines politiques ou artistiques, ou dans quelque autre sphère de la vie canadienne, fourniront à ces deux importants organismes d'État de nombreuses occasions de collaborer étroitement. *Extrait de : Canada. Commission royale d'enquête sur l'avancement des arts, lettres et sciences au Canada. Rapport. Ottawa : Imprimeur du roi, 1951. Reproduit avec la permission du Bureau du Conseil privé. |