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LES ARTS INDIENS*[277]1. Au cours de nos audiences, on nous a entretenus souvent des peuples indiens, qui ont joué le rôle que l'on sait aux débuts de l'histoire du Canada et qui forment, dans une certaine mesure, une société à part et maintiennent un mode de vie distinct d'un bout à l'autre du pays. Seize mémoires ou exposés ont appelé notre attention sur les aspects de leur vie qui nous intéressent plus particulièrement, c'est-à-dire leurs arts et métiers. Nous avons reçu, de plus, à ce sujet, une étude bien documentée, dans laquelle nous avons puisé plusieurs renseignements de la plus grande utilité. Nous nous intéressons à cette question, en elle-même, et aussi parce qu'elle touche au bien-être d'un groupe important de la population du Canada. 2. On nous a présenté les arts de divers groupes d'Indiens en nous indiquant que les différences primitives, remontant probablement au temps de la migration de ces peuples en notre continent, se sont accentuées par suite des variations du climat, de l'habitat et des ressources naturelles des régions où ils se sont fixés. On nous a parlé des tribus des forêts de l'Est, des grandes plaines, de l'intérieur de la Colombie-Britannique et du littoral nord-ouest, ainsi que de l'ingéniosité et de la beauté de leurs productions : vannerie de tous genres, articles en cuir, sculpture sur bois, broderie, argenterie de styles divers. On nous a exposé dans le détail les arts et métiers du littoral du Pacifique, où un système économique et social fort évolué comportait des formes diverses d'expression individuelle remarquables par leur grande variété et leur haute originalité. D'autre part, on nous a rappelé la nécessité de diffuser largement les renseignements, que nous recevions : « L'ignorance reste très généralisée au sujet des cultures indigènes. Le cinéma et les illustrés populaires constituent, pour bien des gens, l'unique source d'information à cet égard. On y représente tous les Indiens vivant sous la tente d'écorce et coiffés de plumes, si bien que certains Indiens ont fini eux-mêmes par s'y laisser prendre. D'autre part, l'opinion ne sait pas réagir aux imputations d'ignorance, de paresse, d'instabilité. Ces erreurs d'ordre psychologique se mêlent à des bribes de données réelles (par exemple, que les Indiens confectionnaient autrefois des têtes de flèche qu'on retrouve ici et là, ou bien que les vieilles squaws troquaient des paniers pour de vieux vêtements)... et c'est à cela que se résume l'information de l'opinion publique au sujet de ces peuples » (1). Cette indifférence, cette ignorance généralisées parmi la population blanche du Canada s'accompagnent d'une indifférence croissante, chez les Indiens eux-mêmes, à l'endroit de leurs traditions et de leurs arts indigènes. Nous avons reçu plusieurs mémoires importants, voire précieux, à propos de cette question, de la British Columbia Indian Arts and Welfare Society, ainsi que des membres, habitant la même province, de la Federation of Canadian Artists qui s'intéressent au travail des Indiens. Nous avons recueilli également le témoignage de groupes de l'Alberta et nous avons appris l'existence d'un important débouché pour les produits de l'artisanat indien au Nouveau-Brunswick. L'accord semble exister sur ce fait que la jeune génération délaisse les métiers d'art traditionnels et que certains des moins pratiqués, telles l'argenterie et la sculpture sur argilite du littoral du Pacifique, pourraient disparaître complètement avant peu. D'après les auteurs de notre étude spéciale, qui fondent leurs conclusions sur une enquête minutieuse : « Les lettres qui nous communiquaient des renseignements en vue de notre étude avaient pour leitmotiv cette phrase : les jeunes ne connaissent pas ces métiers, seuls les vieux s'y adonnent encore » (2). Puis, au sujet de l'indifférence à l'égard du passé :
3. Plusieurs genres de produits qui survivent, attribués faussement aux artisans indiens, sont des objets de camelote fabriqués en série à l'intention du touriste : totems en miniature mal sculptés, épingles en plastique aux couleurs crues (« confectionnés par les Indiens au moyen d'os pressés ») et autres bibelots, ou mieux « souvenirs indiens » fabriqués au Japon(4). Cette activité ne contribue même pas toujours à l'avantage économique de la famille indienne; elle aboutit plutôt, dans certains cas, à un travail à peine rétribué, qui est littéralement imposé à la mère et aux enfants. 4. Cet état de choses peu satisfaisant porte bien des gens à croire que, puisque la disparition des véritables arts indiens est inévitable, il ne faut pas encourager les Indiens à prolonger l'existence de fabrications qui apparaissent ou artificielles ou dégénérées, selon qu'on les considère d'un oeil favorable ou non. Celles-ci, dit-on, ont surgi spontanément de l'union des pratiques religieuses et des habitudes économiques et sociales qui constituait la culture de la tribu et de la région. La perturbation apportée par le Blanc, armé de sa civilisation plus avancée et de ses techniques infiniment supérieures, a provoqué la ruine graduelle du mode de vie indien. Ainsi donc, les techniques artistiques des Indiens n'ont survécu que comme les fantômes ou les ombres d'une société morte. Jamais, prétend-on, elles ne reprendront une forme ou une substance réelle. Par conséquent, les Indiens doués d'un talent créateur doivent l'exploiter à la façon des autres Canadiens, et il importe de leur faciliter de toutes les façons la formation en ce sens; mais il est impossible de faire revivre l'art indien comme tel. 5. À notre avis, on s'accorde pour convenir que certaines formes de cet art ont définitivement disparu avec les coutumes qui leur avaient donné naissance, et que l'emploi sans discernement de totems en guise d'enseignes de postes d'essence ne favorise aucunement la cause de l'Indien ni celle de l'art. Il ne s'ensuit pas qu'on ne doive pas conserver avec soin les uvres du passé qui ont une grande signification pour l'anthropologie et l'histoire de l'art primitif. 6. Un certain nombre de groupes et de personnes nous ont néanmoins affirmé que l'art indien dépasse de beaucoup le pur intérêt historique. On nous a rappelé à maintes reprises que, de tradition, les Indiens sont des artisans d'une très grande adresse. Laisser se perdre, faute d'encouragement, leur habileté technique, leur goût et leur originalité dans le dessin, leur faculté d'adapter leurs talents à l'emploi de nouvelles matières et à la production de nouveaux types d'objets, ce serait dommage pour toute la population du Canada, blanche aussi bien qu'indienne. 7. Il n'y a pas lieu de craindre, semble-t-il, qu'un art devienne stéréotypé, qui « pour la qualité du travail et le dessin, occupe un rang élevé ... parmi les arts et métiers aborigènes » (5). Ces arts ont résisté à la corruption pendant des siècles, tout en bénéficiant de l'apport de l'homme blanc, sous forme d'outils perfectionnés, de matières et même de dessins. On sait avec quelle rapidité et quelle aisance les Indiens ont, par le passé, adapté et assimilé à leurs techniques les perles, soies et dessins des Blancs. Aujourd'hui, apprenons-nous, l'histoire se répète; les Indiens de l'île de Vancouver et d'ailleurs se sont mis à tricoter, se servant non pas des modèles des Blancs ni même, toujours, de leurs dessins traditionnels. « Il se forme plutôt de nouvelles traditions, inspirées de l'hirondelle en vol, du chevreuil et d'autres animaux représentés sous des angles inédits » (6). Nous possédons d'autres indices du sens du dessin, qui paraît commun à des groupes indiens par ailleurs fort différents. 8. On nous a rappelé, d'autre part, que l'Indien ne peut donner tout son rendement que dans certaines conditions, qui se rencontrent rarement maintenant. Des tribus considèrent certains produits comme sacrés et voient d'un mauvais oeil qu'un de leurs membres s'en défasse, même sous forme de cadeau à un ami, sans se soumettre à un rituel spécial. Ces coutumes, pour exceptionnelles qu'elles soient, expliquent qu'on nous ait affirmé à maintes reprises que les Indiens ne travaillent vraiment bien que lorsque leur oeuvre est suffisamment appréciée. Le manque d'appréciation chez l'acheteur et la demande d'articles bon marché ont causé cet abaissement sérieux des normes de travail dont nous ont parlé certaines sociétés bénévoles, surtout de la Colombie-Britannique, qui s'efforcent de rétablir ces normes en encourageant les artistes, en initiant le public à la beauté des travaux indiens et en maintenant les prix à un niveau raisonnable. 9. Il n'est peut-être pas exagéré de présumer que le marasme où se trouvent actuellement les arts indiens, et qui pourrait en provoquer la disparition complète, tient en partie à certaines tendances atteignant toutes les sociétés contemporaines : le machinisme, le désir de nouveauté plutôt que de qualité, la propension au moindre effort et au débraillé. Aujourd'hui, ainsi que nous l'avons noté, certaines sections de la population blanche du Canada se lancent dans l'artisanat avec enthousiasme pour des raisons très diverses : pour satisfaire le désir universel de réaliser une oeuvre, pour occuper agréablement ses loisirs, pour se procurer un peu d'argent. L'Indien travaille pour les mêmes motifs mais se voit souvent entravé par le manque d'instruction, d'avis et d'encouragement, par le sentiment que personne ne veut de ses meilleurs produits et par les difficultés de vente, surtout quand il s'agit de beaux produits qui ont besoin d'un marché spécial. 10. Ces aspects de la question ont porté certaines sociétés bénévoles à nous exposer avec instance la nécessité d'une aide et d'un encouragement. Aide et encouragement, prétendent-elles, s'imposent, dans l'intérêt non seulement des Indiens mais de tous les Canadiens qui s'intéressent aux arts mineurs. Grâce à leur ingéniosité et à leur goût, à leurs dessins traditionnels et aux objets qu'eux seuls produisent, les groupes indiens peuvent apporter une contribution précieuse dans ce secteur de la vie culturelle au Canada. 11. On a exprimé nombre d'avis sur la forme que pourrait prendre l'aide à apporter de la sorte : la collaboration de la Galerie nationale, qui peut contribuer à conserver et faire connaître les dessins indiens traditionnels; les expositions ambulantes de travaux indiens; une forme spéciale d'enseignement; l'étude des problèmes que pose la vente des différents genres de produits. On convient en général que l'aide, pour essentielle qu'elle soit ne doit se donner qu'avec beaucoup de soin; sinon, elle fera plus de mal que de bien. Il faut maintenir des normes élevées de qualité grâce à un intérêt et à un encouragement judicieux. Les Indiens doivent être rappelés au sens de la valeur de leurs traditions et de la beauté de leurs dessins traditionnels, mais on doit les laisser libres de travailler suivant la forme et le modèle qu'ils préfèrent. De cette façon, on pourra les convaincre d'éviter la copie servile de nouveautés qui les attirent, ou qu'ils croient meilleures, simplement parce qu'elles viennent des Blancs. 12. On a exprimé l'avis que la Division des affaires indiennes devrait être invitée à s'occuper de ces questions et recevoir les ressources nécessaires à cette fin. Quelques agents de la Division des affaires indiennes s'y intéressent et rendent des services, nous dit-on, mais, en général, on a l'impression que cet organisme a adopté une attitude plutôt négative. Il est impossible de dresser un plan d'application uniforme, mais il faut un programme souple pour encourager les Indiens à donner leur meilleur rendement. La publicité et l'information s'imposent également pour permettre aux autres Canadiens de comprendre la valeur de ces oeuvres (eux qui manifestent déjà un vif intérêt à l'endroit de l'artisanat, ainsi que nous l'avons noté). Quelqu'un nous a même proposé la formation d'un conseil, relevant du cabinet, qui s'occuperait de ce travail. 13. « L'établissement d'une ligne de conduite d'ordre national dans le domaine des arts et métiers est essentielle au bien-être des Indiens »(7). Cette parole nous amène à traiter un sujet qui préoccupait un certain nombre de sociétés, c'est-à-dire l'état des arts et métiers au pays. Les Indiens, qui forment une minorité au Canada, se trouvent pour la plupart dans une condition d'infériorité, du triple point de vue économique, social et intellectuel. Leur instruction académique relève de la Division des affaires indiennes et l'on nous a dit que les arts et métiers devraient entrer dans le programme de cet enseignement. Le Centre d'études amérindiennes de l'université de Montréal signale que les Indiens du Canada relèvent à la fois d'organismes de bien-être (dont l'action prend la forme de la tutelle) et d'organismes, tels que le Musée national, qui s'occupent d'études d'ordre culturel. Dans son mémoire, le Centre exprime l'avis qu'il y aurait lieu de créer un Conseil canadien d'études et de bien-être amérindiens, chargé d'étudier chaque aspect de la vie indienne et de proposer des mesures législatives appropriées. Les groupes bénévoles et les particuliers qui, sur un plan modeste, se sont efforcés de réaliser cette oeuvre semblent convenir que l'intégration de l'Indien dans la vie canadienne se réalisera le mieux si les autres Canadiens apprennent à le connaître et à le comprendre par le truchement de son travail créateur. Ils nous ont exposé que ce serait beaucoup mieux qu'un simple geste de charité protectrice que de favoriser ainsi la renaissance de l'activité artistique chez ceux qui, tout au long de notre histoire, ont maintenu l'artisanat à la hauteur d'un art. [page 282 blanche] *Extrait de : Canada. Commission royale d'enquête sur l'avancement des arts, lettres et sciences au Canada. Rapport. Ottawa : Imprimeur du roi, 1951. Reproduit avec la permission du Bureau du Conseil privé. |